Saturday, October 22, 2011

Persepolis

Persepolis (Marjane Satrapi & Vincent Paronnaud, 2007, France/USA)



L'histoire de Marjane Satrapi, une femme qui a grandi pendant la révolution iranienne, et l'impact de cette révolution sur sa vie et celle de ses proches.

Je ne comptais pas le faire dans ce blog mais vu les événements qui ont eu place suite à la projection de ce film sur la chaîne de télévision tunisienne privée Nessma TV, je me trouve obligé de parler, pour une fois, un peu en dehors de l'oeuvre.

Tout d'abord les faits : Nessma TV propose le film Persepolis doublé en dialecte tunisien, quelques semaines avant le déroulement des élections de l'Assemblée Constituante tant attendues par les tunisiens depuis plusieurs mois. Les réactions commencent déjà, venant sans surprise du côté des adhérents du parti Ennahdha. Ils accusent la chaîne d'enfreindre les lois liées à ces élections et qui stipulent qu'il est interdit aux médias de faire la promotion (ou le contraire) d'un parti en particulier. Le film fait de l'écho avant même sa projection. Les partisans d'Ennahdha et autres extrêmistes en herbe ont une idée sur le contenu, mais sans plus. Ca ne leur plait pas. La chaîne ne leur plait pas déjà depuis longtemps puisqu'elle présente des choses "contraires à nos moeurs".
Bref, le film passe et les premières réactions commencent. Le parti Ennahdha rédige une lettre condamnant la chaîne pour avoir présenté le film dans le seul but de nuire au parti. Ca en dit déjà beaucoup sur les points de ressemblance entre ce qui s'est passé en Iran et ce que compte faire ce parti en Tunisie. Mais le plus sérieux reste à venir...

Il y a, dans le film, 3 scènes où le personnage principal s'imagine en train de parler avec Dieu. Or, en Islam, il est formellement interdit de représenter Dieu ou son prophète. Et il n'en a pas fallu plus pour lancer d'énormes vagues de lynchage virtuel qui se sont vite transformées en manifestations réelles où des bandes de barbus analphabètes (j'y reviens sur ce détail) conduisent des masses d'abrutis en chaleur qui veulent carrément détruire le local de Nessma TV. Les manifestations se poursuivent dans plusieurs villes jusqu'à finir par attaquer la maison du propriétaire de la chaîne. À ses dires, ils ont brûlé deux de ses voitures, cassé plusieurs fenêtres, allumé le feu, blessé des gardiens... bref, il ne manquait plus que la crucifixion pour couronner le tout.

Et tout ça pourquoi ? "Parce que Nessma TV a osé représenter Dieu" ! Il y a tellement de choses insensées dans cette réplique que je trouve difficile par où commencer. Je vais essayer tout de même.
1-Tout d'abord Nessma TV n'a pas représenté Dieu. Ils ne sont ni les producteurs ni les réalisateurs du film pour le faire. Ils se sont contentés de le faire passer en dialecte tunisien.
2-Il existe une merveilleuse invention qui a pu résoudre bon nombre de problèmes depuis son existence. Cette invention s'appelle la télécommande. Elle est très utile si l'on croit Wikipedia :
"La télécommande est un dispositif, généralement de taille réduite, servant à en manipuler un autre à distance, par câble, infrarouge ou ondes radio. Les télécommandes servent à interagir avec des jouets, des appareils audiovisuels comme une télévision ou une chaîne Hi-fi, un moteur de porte de garage ou de portail, un éclairage, l'ouverture des portières d'une voiture, des appareils de topographie, des engins de levage ou de travaux public, etc."
Ce qui nous intéresse ici est la télévision, bien entendu. Cette invention merveilleuse sert, entre autres, à carrément changer de chaîne sans avoir à se déplacer jusqu'à la télévision pour le faire ! En d'autres mots, si vous n'aimez pas ce qui se passe à la télé, vous appuyez tout simplement sur un bouton pour le faire disparaître. C'est presque magique ! Sauf que chez certains tunisiens, "télévision" veut dire "toute la famille s'asseoit pour regarder coûte que coûte toutes les stupidités qui passent".
3-Dernier point, que j'estime le plus important, les musulmans s'en foutent pas mal des autres "dieux", c'est à dire dans le sens où, qu'ils soient représentés ou pas, ça n'a aucune importance. Et dans le film qu'est ce qu'on voit ? Une gamine qui s'imagine en train de parler avec Dieu. Est-ce que c'est écrit quelque part que c'est "Allah" ? Est-ce que l'imaginaire d'une fille dans un dessin animé prétend être LA vérité absolue pour tout le monde ? Et si elle parlait seulement à son dieu à elle ? Déjà que dans le film, je ne me rappelle d'aucune référence à la croyance personnelle de la fille. En fait ces scènes montrant Dieu servent à montrer sa non-croyance plutôt que le contraire. Mais au final ça reste son imagination. Et tout le monde, étant petit, s'est déjà imaginé en train de parler avec Dieu ou tout simplement de le voir veiller sur lui. Est-ce interdit aussi ?

Je reviens sur le détail de tout à l'heure. Ce même film a déjà été projeté aux cinémas tunisiens. C'était aux Journées Cinématographiques de Carthage si je ne me trompe pas. Pourquoi est-ce qu'il n'y a rien eu de tout ce chaos dans le temps ?
-Soit parce que les barbus en chaleurs sont analphabètes, qu'ils ne comprennent pas le français et qu'ils n'ont donc pas pu comprendre le film lors de sa projection.
-Soit parce que les barbus en chaleur étaient tout simplement cachés parce qu'ils avaient peur de sortir au grand jour lors du règne de Ben Ali.
-Soit parce que les barbus en chaleur ne vont vers les salles de cinéma que pour les casser (rappelez-vous ce qui s'est passé à la salle CinémAfricArt).

Mais l'hypocrisie ne s'arrête pas là. Je connais personnellement des personnes qui adorent d'autres films qui devraient être blasphématoires, selon cette même logique, et qui condamnent fermement "ce qu'a fait Nessma TV". Des films comme The Matrix Reloaded où on voit quelqu'un vêtu de blanc et qui dit "I created the Matrix", autrement dit "j'ai créé le monde" ; comme Monty Python and The Holy Grail où Dieu parle directement aux personnages principaux afin de leur donner une mission ; comme The Devil's Advocate où Al Pacino nous sert un beau discours sur Dieu ; comme Bruce Almighty où le personnage principal s'approprie le rôle de Dieu pendant quelque temps ; des séries comme Dragon Ball Z où on voit un personnage jouant le rôle de Dieu sur terre, et j'en passe, les exemples étant nombreux... Ces films ont toujours passé sans aucun problème en Tunisie. Pourquoi est-ce qu'aujourd'hui ça devient différent ? Pourquoi condamner quelque chose lorsque ça ne nous arrange pas, et l'encourager lorsque ça nous plait ?
Si quelqu'un peut m'éclairer...

En attendant, pour revenir un peu au film en question, je le dis tout de suite, tout le monde doit le voir. Chaque tunisien qui possède un petit bout de cervelle est dans l'obligation de le voir, et surtout maintenant avant ces élections. Les ressemblances sont frappantes entre ce qui s'est passé en Iran en 1979 et ce qui se passe actuellement en Tunisie.

N'étant pas un grand fan des animations, j'aurais préféré voir un film réel avec de vrais acteurs et tout, mais je suppose que ça aurait été trop difficile à faire. Les animations n'ont rien d'extraordinaires, d'autant que c'est en noir et blanc pour quasiment tout le film, mais l'important n'est pas dans les prouesses techniques en fin de compte. Le message est clair : la dictature religieuse est infiniment cruelle. Les religieux au pouvoir donnent l'impression aux brebis qui les suivent qu'ils ont le droit divin de règner comme bon leur semble sur leur territoire. Les petits plaisirs de tous les jours comme la musique, l'alcool, les rencontres entre amoureux deviennent des interdits. Toute forme d'opposition politique n'existe plus. Les gens tentent de mener leurs vies tranquillement malgré tout ça. Parfois ils oublient même le fait qu'ils ne sont pas libres. Ils cherchent à trouver le peu de bonheur dont ils sont capables puisque la liberté est désormais un concept qui semble très lointain : organiser des petites fêtes arrosées chez certains amis, parier sur le fait qu'un fille puisse ou non enlever son voile en public...

Des choses banales qui rendent la vie insupportable ou dangereuse pour plein de personnes, dont Marjane qui est obligée d'aller s'installer en Europe. Au début elle arrive à s'y adapter, mais elle finit par se sentir égarée. De retour en Iran, elle se sent encore plus perdue, notamment avec les changements (toujours vers le pire) que connait le pays. Elle ne veut pas quitter l'Iran et ne peut plus vraiment continuer à y vivre non plus, vu sa nature. Situation assez délicate qui pourra lui causer des ennuis...

Pour finir, l'idée de passer le film en dialecte tunisien était mauvaise. D'une part parce que sans les nombreuses insultes de la version originale, on se croirait en train de regarder un dessin animé pour enfants, et d'autre part, ça nous aurait évité la plus grosse vague d'idiotie que le pays a connu...

9/10

Sunday, October 9, 2011

Naked

Naked (Mike Leigh, 1993, UK)



Après une partie de jambes en l'air qui tourne pratiquement au viol, Johnny s'enfuit vers Londres. Il passe quelque temps chez une ex-petite amie avant de commencer à errer dans les rues, sans argent, sans but précis...

La vie de Johnny résume parfaitement bien celle de la plupart des hommes en général. Le fait d'errer continuellement sans but n'est-il pas le destin ultime qu'est obligé de vivre chaque être humain ? D'ailleurs le verbe "vivre" est peut-être exagéré. Est-ce qu'il suffit de trouver un travail minable, de gagner de l'argent qui suffit à peine à payer le loyer et à manger, et de rentrer chez soi le soir pour regarder des programmes de merde à la télé, pour pouvoir oser dire qu'on est en train de "vivre" ? Et même si c'était le cas, peut-on être heureux en menant une vie pareille ? C'est en tout cas à ça que fait allusion Johnny en voyant sa vieille amie ; pas seulement elle, mais à pas mal des nombreux personnages qu'il rencontre au cours de son errance.

C'est l'un des points forts de Johnny. Il a le contact facile. Il a la faculté d'entamer des discussions existentielles avec de parfaits étrangers sans aucune difficulté, tout en gardant un côté franc et direct qui n'est pas apprécié de tout le monde. Ce qui nous donne des dialogues à la fois hilarants, grâce aux nombreux sarcasmes de Johnny, et intéressants, vu les sujets abordés.

Notre personnage principal est quelqu'un de brillant. Cultivé, intelligent et vif d'esprit, on peine à croire qu'il mène une vie pareille. C'est presque du gachis que de voir autant de potentiel éparpillé en vain. D'ailleurs ça m'a un peu fait penser au protagoniste de la nouvelle "Les Mémoires de Issam Abd El Aati" de Alaa Al Aswany : le jeune homme extrêmement intelligent, qui ne laisse aucune occasion pour apprendre s'envoler, qui a du caractère, mais qui finalement n'est pas donné la chance qu'il mérite...

Mon seul reproche c'est qu'on ne nous informe pas vraiment sur le passé de Johnny. J'aurais tellement aimé voir comment une personne pareille aurait menée sa vie par le passé. Comment est-ce qu'il en est arrivé là ? Qu'est-ce qui en a fait cette personne-là ?
Mais ceci n'est rien face à la splendeur de cette oeuvre...

9/10

Thursday, October 6, 2011

Angels of the Universe

Angels of the Universe (Friðrik Þór Friðriksson, 2000, Islande/Norvège/Suède)



Páll, amoureux de l'art sous toutes ses formes, est issu d'une famille assez modeste. Il tombe profondément amoureux de Dagný qui vient d'une famille riche. Leur relation est brutalement interrompue à cause de cette différence sociale, ce qui conduit Páll vers la folie...

Une histoire d'amour qui finit mal. Un couple heureux brisé par les obstacles de la vie réelle. Les méchants parents bourgeois qui refusent une relation qui pourrait donner une mauvaise impression sur leur fille. Et par la suite, qui sait, nos deux amoureux vont probablement trouver une solution à ce problème et vivre heureux en ayant plein d'enfants et tout. Ca se passe toujours ainsi ! Qu'est ce que ça peut être ennuyeux...

Mais heureusement, ce n'est pas du tout le cas ici. L'histoire d'amour n'est là que pour déclencher le tout. Et d'ailleurs le film ne s'y attarde pas trop. Le temps passe très rapidement sans qu'on ne s'en rende compte. On peine à croire que Páll est aussi amoureux qu'il le prétend de la fille en question, et on peut même être surpris de le voir réagir avec tant de violence avec sa famille après la rupture ; et c'est tant mieux. On n'a pas besoin d'un n-ième film mélodramatique où on passe 90 minutes à attendre de voir comment le couple va se remettre ensemble.

L'important ici c'est la phase "folie". Páll est mis dans un hôpital psychiatrique où il va vite se faire des amis comme Óli qui compose des titres pour The Bealtes qu'il envoie par télépathie, ou encore Viktor qui se prend pour Adolf Hitler.
Les dialogues prennent une autre dimension. Bien qu'on ait affaire à des "fous", c'est à se demander qui sont les vrais fous ici.

Les dialogues sont à la fois drôles, amusants et intéressants. Dans une conversation entre le Docteur qui s'occupe de l'hôpital et Páll, ce dernier lui dit que, s'il continue à parler ainsi, ils devraient bientôt changer de places.
Une autre réplique qui mérite l'attention est là où l'un des amis de Páll lui dit que'on veut que les hôpitaux psychiatriques ressemblent le plus possible à des maisons normales. Pourquoi ? Parce que les maisons normales ressemblent de plus en plus à des maisons de fous !
On se pose des questions... Qui est réellement fou dans ce monde et qui est sain d'esprit ? À partir de quel moment peut-on considérer quelqu'un comme étant un fou ? Et d'ailleurs, qu'est ce qu'être "fou" ? Ne sommes-nous pas tous fous à des degrés différents ?

En examinant de plus près le cas de Páll, on comprend que c'est vraisemblablement sa première expérience avec "la vie réelle". Avant la rupture avec Dagný, il menait une vie tranquille au milieu des choses qu'il aime : la poésie, la peinture, la musique, la famille... Il était toujours de bonne humeur, prêt à raconter des blagues n'importe quand. Et même dans l'amour il était très impliqué. Il se dévoue totalement à ses passions, et c'est ce dévouement qui va causer sa perte. Son cerveau n'arrive pas à assimiler le fait que le monde dans lequel il vit et "le monde" à proprement parler ne font pas un. Le choc est brutal. Sa place est ailleurs. Et après plusieurs sorties de l'hôpital, il finit par comprendre qu'il n'y a qu'une seule issue possible...

Angels of the Universe est une oeuvre triste, amusante et pleine de beauté. La bande originale, composée par Hilmar Örn Hilmarsson et Sigur Rós, qui donnent vraiment le meilleur d'eux-mêmes ici, est d'une splendeur inégalée. Le film est beaucoup plus vivant, plus touchant grâce à cette musique fabuleuse...

9/10